Montenegro, notre récit

Ce qui frappe en pénétrant dans le territoire monténégrin, c’est la beauté du paysage. Tout est "naturellement naturel". C’est grand, c’est beau, c’est coloré, c’est majestueux. Ca n’a plus rien à voir avec l’Albanie, qu’on a laissée derrière nous. Seul point en commun pour le moment, c’est à dire, entre la frontière et la capitale monténégrine Podgorica, c’est le mauvais état des routes. Ce qui n’empêche pas les conducteurs de se comporter comme de véritables chauffards. Mais revenons au paysage, il est tellement présent.

Sur notre droite, ce sont des montagnes, pas très élevées. On peut y reconnaître certaines régions de France, telles que l’Ardèche, le Vercors ou encore les Alpes-de-Haute-Provence. C’est assez sec, mais la végétation est tout de meme très présente, et cohabite parfaitement avec ces pierres et autres rocs, aux couleurs parfois métallisées. Lorsque la brume recouvre les lacs, de la route, qui surplombe ces étendues d’eaux, on assiste à un spectacle presque irréel. On se croirait dans certaines contrées des Highlands, ces régions montagneuses dans le nord de l’Ecosse. Il n’y a pas de citadelle aux alentours, mais un parfum chevaleresque est presque perceptible dans l’air. Tant l’atmosphère est mystérieuse. L’humidité aussi se ressent. Le soleil peine à percer la fine couche nuageuse. Mais il fait bon. Il fait un temps idéal pour s’imprégner de cette ambiance étrange, qui règne dans cette région riche en étendues marécageuses. Nous ne le savons pas encore, mais nous venons de mettre les pieds dans un pays très surprenant. Malheureusement, la première surprise est mauvaise. Trouver un hébergement, contrairement à la partie moyen orientale de notre voyage, n’est plus chose aisée donc il ne faut pas s’inquiéter. Bien que lors de nos journées de marche nous faisons toujours connaissance avec des personnes très aimables, qui nous offrent du café ou du thé, nous ne sommes plus aussi surs, que dans les pays traversés avant le Grèce, d’être hébergés gratuitement. Pis! Parfois, nous trouvons un endroit équipé pour recevoir des pèlerins comme nous, mais la mauvaise volonté dont font preuve les garants et gérants de ces structures, parfois immenses et loin d’être pauvres, nous sape le moral.

Ainsi, à Podgorica, nous sommes heureux de trouver un lit, une douche et de quoi manger. Mais, très vite, on nous fait comprendre que nous ne sommes pas les bienvenus. Qu’à cela ne tienne! Nous ne demandons qu’à rencontrer des élèves et des journalistes. Notre hébergement se trouvant dans un centre de formation de la Congrégation de Don Bosco, nous obtenons l’autorisation de présenter notre projet aux jeunes s’initiant à l’informatique et au secrétariat, au sein de cet établissement. Le directeur, qui n’a pas daigné venir nous voir, a convoqué une journaliste. Par chance, nous faisons la connaissance de Ida, une charmante jeune Monténégrine, étudiante au Canada, en visite chez ses parents. Elle parle très bien le français et sera notre interprète auprès des jeunes. Comme précédemment en Albanie et partout ailleurs, la rencontre se passe très bien. Les jeunes sont enthousiastes et les questions fusent. Certains souhaitent même nous rejoindre. Après les traditionnelles photos, nous accordons une interview au journal "Vijesti". Arrive un professeur qui nous propose de présenter nos photos sur son vidéo-projecteur. Nous sommes d’accord et rendez-vous est pris pour le lendemain matin. Malheureusement, le jour d’après, à l’heure convenue, le même professeur nous annonce que la présentation est annulée. Qu'Ida, qui travaille tous les jours bénévolement dans ce centre, ne viendra pas. Notre interprète absente, il nous est difficile de comprendre ce qu’il se passe exactement. Mais on s’en doute. Finalement, en croisant les élèves rencontrés la veille, l’un d’eux nous donne l’article paru dans le journal. Et nous pouvons y lire, même sans comprendre la langue, que la part belle est faite au centre de formation. Et à son directeur, qui ne nous a pas adressé la parole tout le temps de notre présence dans "ses" murs, c’est à dire trois jours. Les choses deviennent très claires, on nous pousse vers la sortie. Et, au cas où nous n’aurions pas compris, lorsque l’on demande à boire un café et manger un morceau, avant de reprendre la route, c’est du thé froid qu’on nous sert… Ce qui ne fait que renforcer ce qu’on répète régulièrement, à savoir que ce sont les plus pauvres qui nous accueillent le mieux. Cela s’avérera encore exact lors de notre prochaine étape.

Nous sommes en route et la grisaille de certains coeurs a fait place au soleil qui est toujours déterminé à marcher avec nous. Cette fois, le paysage est plus plat. Avec ses champs où paîssent, ici et là, des vaches, des taureaux ou des moutons, l’atmosphère est plutôt bucolique. Puis, progressivement, la plaine cède la place à un relief qui semble vouloir nous montrer ce que le Monténégro a dans le ventre. On découvre une longue, très longue et très large vallée. Qu’accompagnent de chaque côté de magnifiques montagnes. C’est somptueux! Et ce magnifique décor est le nôtre jusqu'à la ville de Nikšic. Un impressionnant monastère, tout de blanc vêtu, sculpté à même le roc sur le flanc de la montagne, et dominant ainsi la vallée, semble vouloir nous prévenir, que nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Et la prochaine se prénomme Milica, l’équivalent de notre Mélissa. Alors que nous sommes invités chez la famille Kandic à boire un café, nous prenons connaissance de la ville et du pays, mais dans un langage pas clair. Notre hôte, Slobodan, parle un anglais très approximatif. Son frère Zoran, un géant, est plus doué pour le basket que pour la langue de Shakespeare. Quant à Ružica, à défaut de mieux se débrouiller que son mari Slobodan, elle nous offre deux énormes sandwichs, qui nous nourriront pour la soirée. Une heure plus tard, arrive une jeune fille pour nous sauver la mise et plus encore. Milica a 17 ans, parle très bien l’anglais et est très très vite emballée par notre aventure. En plus d’assurer la traduction, elle appelle le principal de son lycée et organise une rencontre avec des élèves de son établissement. Slobodan tentera le maximum pour nous permettre de présenter notre projet à la faculté et à la communauté orthodoxe. En vain.

Quand nous quittons nos hôtes, il fait nuit et nous ne savons pas où passer la nuit. C’est finalement le père de Milica, qui, refusant de nous laisser passer la nuit dans une station-service, nous propose de dormir dans leur très modeste appartement. Nous passons une soirée très agréable en compagnie de ce géant plein de bonne humeur et le cœur sur la main. Ainsi qu’avec sa femme, son fils et Milica, toujours aussi attentive et attentionnée envers nous. Une chaleur qui nous permet de passer une bonne nuit, bien méritée. Le lendemain, nous retrouvons Milica et rencontrons des élèves de différentes classes en même temps. L’ambiance est bonne et le courant passe vite et bien. Les questions affluent et nous finissons dans la cour pour la séance photos. Entre-temps, un des meilleurs amis de notre jeune hôtesse, Goran, nous invite à aller boire un verre. Il a été le premier à poser une question lors de notre exposé. Invitation à se désaltérer qui aboutit sur un hébergement pour une nuit supplémentaire, chez le jeune et très vif Goran. Cela nous permet de découvrir les environs de Nikšic. Et de faire connaissance avec les parents de notre nouvel hôte. Notamment avec sa mère, Ranka, qui nous dit que nous sommes comme ses propres enfants. Toujours souriante, après avoir "lu" dans le marc de café, elle nous prédit, à Richard et moi-même, un bel avenir. Une dernière soirée à Nikšic en compagnie de Milica, sa meilleure amie Danka et leur copain Dolebor, nous permet de constater une nouvelle fois, comme à Podgorica, à quel point les gens aiment à marcher et à se promener dans les grandes villes, où beaucoup de zones piétonnes sont aménagées. Ayant perdu Goran dans la soirée, nous saluons nos jeunes amis et rentrons seuls, après que Milica ait prévenu les parents de Goran de notre arrivée. Personne ne sait où se trouve le jeune étudiant, et ses parents sont furax de voir qu’il nous a laissés en plan. Nous-mêmes n’avons pas apprécié sa dérobade. De plus, Goran a emprunté le chapeau de Richard et celui-ci y tient particulièrement. Peu de temps après nous, c’est un Goran avec le visage marqué qui rentre à la maison. Avec lui, viennent les explications: pris à partie par plusieurs types qui en voulaient au chapeau de Richard, il a fini par se battre pour le récupérer. S’en est suivi un dépôt de plainte au poste de police. Qui aurait pu imaginer un tel scénario? Quelques minutes plus tard, c’est au tour des parents des agresseurs d’arriver, pour calmer le jeu.

Le lendemain, Mikica, le frère aîné de Goran nous accompagne un bout de chemin, avant de nous proposer de venir boire un café dans le bar où il travaille, parallèlement à ses études de journalisme. Nous acceptons et ce petit intermède nous permet de revoir Goran, qui sort du poste de police où il devait se présenter très tôt. Le hasard n’existe pas. Maintenant nous pouvons quitter la ville tranquillement. Nous avons vécu de bons moments et fait de belles rencontres à Nikšic. Et dans cette ville, comme ailleurs, nous nous sommes rendus compte qu’il n’y a pas que les montagnes qui sont grandes au Monténégro! C’est incroyable le nombre de personnes de grandes tailles croisées dans les rues. Hommes et femmes. Quand on sait le niveau qu’à ce pays dans le domaine du basket, ça se comprend! Nous pouvons aussi réaliser que nous sommes en Europe. Que ce soit au niveau de la tenue vestimentaire, ou du comportement des couples dans la rue. Ils se tiennent par la main, s’embrassent. Ce qui est loin d’avoir toujours été le cas dans tous les pays que nous avons traversés.

Au Monténégro, bien qu’aimant leur pays, beaucoup de jeunes souhaitent faire leur vie ailleurs. Notamment au niveau professionnel. Ce qui est compréhensible, quand on sait qu’un salaire moyen oscille entre 150 et 200 euros par mois. Et le seul loyer d’une petite maison en location, peut déjà atteindre à lui seul près de la moitié de cette paye. Ce qui explique que souvent, les gens ont deux emplois. Et toute la famille, quand c’est possible, travaille. Pourtant, malgré des conditions de vie difficiles, nous retrouvons de nouveau ici, ce qui nous fait défaut chez nous. Une disponibilité à l’autre, une chaleur, un grand sens de la famille aussi. Les gens sont comme en Albanie, en Turquie, et dans les pays arabes, très tactiles. Ils touchent beaucoup. On prend facilement un étranger par le bras, pour lui faire visiter la ville. Les gens discutent beaucoup, crient beaucoup, se saluent beaucoup. Bref, il y a énormément de vie. Toutefois, nous trouvons un peu moins de tout ça, quand nous nous dirigeons vers la dernière ville du Monténégro, nommée Plužine, avant la frontière avec la Bosnie. Mais le paysage comble merveilleusement cette lacune! Excepté le fait de devoir marcher que sur du béton, c’est un régal pour les yeux qui s’offre à nous. Nous nous faufilons tantôt entre les montagnes, tantôt dans des défilés montagneux. Nous ne savons plus où donner de la tête, tant il y a de belles vues à prendre. Et nous ne voulons rien rater! L’automne a donné son petit coup de pinceau qui teinte la végétation de couleurs chatoyantes. Des jaunes, des oranges, des verts, qui séduisent tous nos sens, et font montre d’un talent inimitable. Dame Nature, bravo! Car c’est de l’art que nous avons devant nous. C’est si beau. Et ça s’étend sur des kilomètres. Il fait chaud. Nous enchaînons les montées et les descentes. Longues sont les distances sans habitations, sans bar où se désaltérer. Il faut gérer l’eau. Mais la nature environnante, à sa manière, nous soutient dans nos efforts. Ainsi que quelques conducteurs qui klaxonnent à leur passage. Nous filmons, photographions, commentons, tout en nous extasiant. Tant c’est grandiose, superbe, géant et NATUREL! Tout est forêt de pins, longues étendues de verdures. Des arbres rappelant les cèdres du Liban, sont accrochés à même la roche. Partout la vie nous entoure, nous oxygène et atténue nos innombrables douleurs. Oui! Le Monténégro nous a épatés! Tant par l’accueil de ses habitants que par celui de sa terre. Une terre qui, jusqu’à la frontière bosnienne a redoublé d’efforts pour nous en mettre plein la vue. Pour nous donner l’envie de revenir vers elle. Et elle y est parvenue haut la main!

Etre marcheur, c’est faire preuve d’humilité. C’est se faire tout petit devant ce que la nature a de beau, de profond, de sacré. Et que ce soit jusqu’à Plužine, dernière grande ville avant la Bosnie, et après, Richard et moi avons littéralement été réduits à la taille de fourmis. Tant, ce qui nous entoure est divinement grand. A chacun sa place. Place qui n’est pas toujours facile à trouver, surtout pour passer la nuit. Pour preuve, cette petite anecdote relative à notre passage à Plužine: ville de montagne, aux apparences similaires certaines stations françaises dans les Alpes. En bordure d’un magnifique lac, qui signifie le début –ou la fin ?- d’un défilé entre les montagnes, que sillonne un large cours d’eau, la rivière Drina, aux couleurs changeantes au gré des reflets du soleil. Une Drina tantôt bleu foncé, tantôt vert clair, émeraude, parfois gris métal, mais toujours transparente et pure. Scintillante comme du cristal, l’eau semble vouloir nous séduire, nous inviter à une baignade. Malheureusement, la température extérieure, malgré la présence de l’astre luisant, n’est pas suffisamment élevée à notre goût.

Mais revenons à Plužine, où nous sommes arrivés juste avant le coucher du soleil. Le temps de se faire offrir un café et nous nous mettons en quête d’un endroit pour passer la nuit. Il commence à faire frais. Une petite chapelle surplombant la ville attire notre attention, mais elle est close. Aucun hébergement religieux n’est envisageable. Mais nous trouvons une pièce qui pourra nous servir d’abri au cas où. Au moins, nous ne serons pas dehors, même si ce n’est pas chauffé. Continuant nos investigations, nous sommes orientés vers une sorte de dortoir pour les jeunes étudiants n’habitant pas la ville. Malgré l’enthousiasme des jeunes, tout excités par notre projet, nous essuyons un refus de la part du directeur. Qui nous renvoit sur les chasseurs. Ceux-ci disposent d’une grande maison, ‘ deux, voire trois étages. Quand nous arrivons, guidés par un des jeunes étudiants qui parle anglais, les chasseurs, au nombre de quatre ou cinq, sont attablés, occupés à jouer aux cartes, une bière à portée de main. Le plus costaud répond à notre demande, et il est inutile de parler le Monténégrin pour comprendre qu’on ne dormira pas là cette nuit. Ni jamais. Notre jeune traducteur se confond en excuses et nous remontons vers l’entrée de la ville, pour aller frapper à la porte de l’hôpital. Un médecin nous reçoit. Il ne parle que le russe comme langue étrangère. Mais dans son profond regard bleu, il y a beaucoup d’humanité. Et tout en nous faisant comprendre qu’il n’y a pas de place dans l’établissement hospitalier, il nous demande de patienter. A son retour, il nous remet entre les mains d’un type, qui avait tenter de dialoguer avec nous quelques minutes auparavant. Celui-ci s’avère être un policier en civil, et il nous amène au poste. Pour la petite histoire, en début de soirée, nous nous étions déjà adressés à deux policiers en patrouille. En vain. Mais cette fois, on nous demande nos passeports. Et ils sont répertoriés. Ensuite, c’est toujours le même policier en civil qui nous conduit à… l’hôtel! Nous voilà dans une belle chambre, avec deux lits, la douche et les toilettes, le chauffage et une superbe vue sur l’entrée des gorges. Au frais de qui? Nous ne le saurons jamais, le médecin ne nous a rien dit et les policiers non plus. Le lendemain, sur la route, c’est dans un bureau situé en aplomb d’un vieux, trop vieux, barrage hydraulique que nous sommes invités à boire notre dernier café au Monténégro. Avec toujours cette nature sublime en toile de fond d’un tableau où très humblement, nous nous efforçons de ne pas laisser de traces de pas.